Tu n’avais jamais réellement aimé le sexe avant. C’était peut-être un peu brut comme manière d’énoncer les choses, peut-être une information sur toi que personne ne voulait vraiment connaître mais c’était un fait. Tu avais bien dû y passer quelques fois pourtant, la première fois pour comprendre quelle était cette activité qui semblait diriger le monde implicitement, quelques fois de temps à autre ensuite parce qu’elle te le demandait ou parce qu’il avait bien fallu passer par là pour concevoir ton enfant mais tu avais toujours clamé préférer une cigarette ou un verre de whisky à ce genre de perte de temps, du moins avant de rencontrer Mist.
Dès l’instant où tu avais posé les yeux sur lui tu avais eu la sensation que son corps appelait le tien, rien de romantique là dedans, ton cœur était un coffre dont tu avais jeté la clef il y a bien longtemps, tout était purement physique. Tu étais incapable de l’écouter parler, tu avais constamment envie de poser tes lèvres sur les siennes, de promener tes mains sur son corps et tant d’autres choses difficilement avouables en public et pour une raison que tu ignorais, peu conscient de tes propres charmes, l’attirance avait été réciproque jusqu’à ce que tes rares moments de pause où tu n’avais rien à faire ni pour le compte de l’armée, ni pour le compte de la rébellion, se transforment en moment de plaisir charnels, sa salle de repos en beaucoup de choses sauf un lieu de calme au vu de tes prestations vocales.

Aujourd’hui n’avait pas fait exception à la règle, dès que tu avais pu avoir un instant de répit où personne ne cherchait à te joindre et où la survie de l’humanité ne semblait pas reposer sur tes épaules, tu avais pris la direction de son laboratoire pour profiter de sa présence, inconscient du drame qui allait se jouer dès que tu passerais la porte pour retourner à tes activités, encore essoufflé, les joues rosies par l’effort, tes cheveux -toujours impeccablement coiffés à l’accoutumée- décoiffés et tes vêtements remis en vitesse, persuadé que tu ne croiserais personne sur le chemin du retour, ce qui ne fut pas le cas car dans l’encadrement de la porte se dessina le visage baigné de larmes de la jeune Moeïra.

“Il est à l’intérieur”

Ce fut ce que tu répondis sur un ton tout aussi plat que celui qu’elle avait elle-même employé avant qu’un sentiment étrange ne vienne te prendre de court.

Tu avais l’impression d’avoir fait quelque chose de mal et même si techniquement avoir des rapports sexuels sur son lieu de travail n’était pas quelque chose de fondamentalement bien tu n’en avais jamais culpabilisé avant, c’était encore autre chose, quelque chose qui te ramenait loin, très loin dans tes souvenirs, à la soirée que Paige et toi aviez fait pour ton premier retour de mission. Une soirée où sous l’effet de beaucoup trop de whisky pour oublier ce que tu avais vu là bas, ton regard puis tes lèvres s’étaient posés sur celles d’une autre femme, c’était très exactement ce sentiment qui te broyait le cœur, qui te saisissait au point de ne pas réussir à avancer, ça n’avait aucun sens pourtant, ce n’était pas comme ça entre Moeïra et toi, ce n’était pas ce genre de sentiments qui vous animaient...Pas vrai ?

Vrai ou non, tu te sentis pourtant obligé de la rappeler.

“Attends Moeïra. Est-ce que tu as entendu...quelque chose ?”

Parce qu’après tout si elle n’était au courant de rien, si  le laboratoire était suffisamment insonorisé pour camoufler vos performances vocales ou si elle était arrivé durant le court laps de temps qu’il t’avait fallu pour te rhabiller alors la trahison n’existerait pas et ce bref sentiment qui t’avait traversé pourrait ne rester qu’un secret.

Tu attendais anxieusement la réponse de la jeune femme, tes yeux toujours aussi clairs, toujours aussi impénétrables rivés sur son visage ravagé par les larmes.
Etais-tu l’origine de ses pleurs ? Ou étais-tu encore en train de croire que l’univers tournait autour de toi alors que tu n’avais pas plus d’importance qu’une simple goutte d’eau dans l’océan ? Avait-elle entendu ce qu’il s’était passé entre Mist et toi quelques minutes auparavant à peine ? Avait-elle été témoin des ébats dont tu portais encore les traces sur toi, chemise déboutonnée et cheveux décoiffés ? Et si tel était le cas, alors pourquoi te sentais-tu aussi mal, pourquoi avais-tu ce sentiment de trahison, d’avoir trompé qui te serrait le cœur à chaque seconde qui s’écoulait ? Pourquoi étais-tu en train de prier pour entendre un simple “non” ? Pourquoi ?

Quelques secondes de plus s’écoulèrent, quelques secondes interminables, le temps distordu et enfin elle finit par te répondre.

Oui.

Simplement oui.

C’était factuel comme réponse, c’était court mais c’était trop déjà. Elle avait entendu et tu avais l’impression d’être de nouveau vingt ans en arrière quand Paige te confrontait sur ce qu’il s’était passé durant cette nuit-là, tu avais l’impression d’être de nouveau coupable, d’être de nouveau celui qui avait trompé. Si tu n’avais pas eu une aussi bonne maîtrise de tes expressions faciales, une aussi bonne maîtrise de tes émotions, résultat de beaucoup trop d’années passées sur le terrain, tu te serais probablement juste effondré en lui demandant pardon, à Moeïra, à Paige, à ta fille aussi, à elles, les femmes de ta vie que tu ne savais que blesser et abandonner mais tu te maîtrisais à la perfection comme toujours et lorsque Mist suggéra que tu restes, tu entras à ton tour sans bien savoir si là était ta place. Toutefois tu n’eus pas vraiment le temps de te perdre dans ces élucubrations morales car déjà elle reprenait la parole et ses mots déclenchèrent comme une alarme en toi, le pilote automatique, ce mode de fonctionnement où ton corps prenait ses propres décisions de lui-même sans que tu n’aies besoin de les conscientiser.

J’ai mal et j’ai envie de faire mal.

“Non”

Tes lèvres s’entrouvrirent, ce mot fusa malgré toi, expression de ta peur, de l’urgence que tu ressentais, qui tendait chacun de tes muscles pourtant endoloris par les ébats des minutes précédentes et en une fraction de seconde à peine, alors qu’elle s’élançait vers le bureau, tu t’élanças après elle à ton tour pour l’immobiliser entre tes bras.
Elle pourrait frapper si elle voulait, elle pourrait se débattre, tu ne lâcherais pas prise, tu les méritais de toute façon ces coups là, non ?

Peut-être.

Profitant de la proximité entre vos deux corps et pas réellement sûr de ce qu’elle entendrait vraiment, tu chuchotas à son oreille.

“Je suis désolé Moeïra, j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose de mal, je sais pas pourquoi mais je suis désolé”

Puis, tournant les yeux vers Mist, tu finis par te rappeler qu’il avait probablement besoin d’être informé de la situation lui aussi.

“C’est pas le moment de t’en informer j’en suis conscient, mais autant que tu le saches, elle nous a entendu”