“ Tu me fais une blague là, rassure moi”

C’était ce que tous les passants et probablement Detroit tout entier venait d’entendre hurler un jeune homme aux cheveux bouclés et à l’air faussement négligé en direction d’une jeune femme tirée à quatre épingles.
Toi et Olga, ta sœur ainée.

Tu ne voyais plus ta famille très souvent -ou plutôt tu faisais tout pour les éviter- déçus par ton choix de carrière, las d’avoir passé ton adolescence à te récupérer au commissariat, désespérés de te voir mûrir un jour, chaque rencontre se terminait inlassablement en dispute, dans les larmes et les portes claquées alors lorsque Olga t’avait demandé de la rejoindre en ville, arguant qu’elle avait besoin de te parler, tu aurais dû voir venir le piège pourtant, naïf, tu n’avais rien vu venir du tout et lorsque la jeune femme t’annonça avoir quelqu’un dans sa vie, tu avais été heureux, une seconde à peine, le temps pour elle de préciser qu’il s’agissait non pas d’un humain mais d’un androïde, alors ton bonheur s’était transformé en ce cri scandalisé qui venait de résonner dans toute la ville.

Tu aurais aimé que ta question ne soit pas rhétorique mais le sens de l’humour de ta sœur étant au moins tout aussi absent que ton sens des responsabilités, tu n’eus pas besoin de plus qu’un regard pour comprendre que ce qu’elle disait était vrai.
Et c’était toi le raté de la fille après ça ? Le taré du lot ? Le mouton noir à trois pattes ?
Toi au moins tu faisais ce qu’on était supposé faire avec des androïdes, tu les modifiais, tu les améliorais, tu les démontais, tu n’allais pas t’inventer une supposée histoire d’amour avec un bout de ferraille.

“ Tu te rends compte que c’est n’importe quoi Olga quand même ?”

Evidemment non, elle ne se rendait pas compte, et le laïus qui s’en suivit ne réussit qu’à t’énerver un peu plus, tu ne pouvais plus supporter d’entendre, et surtout pas dans la bouche d’une personne si raisonnable, que les déviants avaient réellement des sentiments et une conscience, tu t’épuisais à leur expliquer que non, ils avaient la capacité de le faire croire, nuance. Si cette “prise de conscience” était venu de frigo, personne ne se serait posé de questions avant de tous les envoyer au service après vente, l’empathie excessive et déplacée que ressentaient certains humains tenait simplement à l’apparence justement humaine des androïdes, tu aurais espéré qu’elle soit capable d’ouvrir les yeux mais non elle restait évidemment bornée, la bouche en cœur, noyée dans son amour aussi écœurant que fictif.
Le ton montait de plus en plus, les regards se tournaient vers vous ou se détournaient avec une certaine pudeur jusqu’au moment où c’en était définitivement trop pour toi, apercevant une androïde non loin, une ST300, tu l’attrapas, probablement bien trop brusquement, par le bras.

“Viens là toi”

Tu l’exhibais presque devant ta sœur, pas vraiment conscient de ce que tu faisais tant l’indignation guidait tes gestes.

“ Regarde la. C’est jamais que des composants électroniques, des lignes de code. Merde quoi Olga, ils font partie de mon travail et même moi ça me viendrait jamais à l’esprit de vouloir m’en taper un, qu’est-ce qui va pas chez toi ?”

Elevé dans une bulle de bienveillance, incapable de réellement comprendre la violence, les fois où tu y avais succombée étaient si rares qu’elles se comptaient sur les doigts d’une main, pourtant, impuissant face au choix de ta sœur que tu jugeais absurde, las de ce qu’il se passait autour de vous depuis de trop longs mois déjà, épuisé par un nombre bien trop élevé de nuits sans sommeil passées à essayer de comprendre l’incompréhensible, tu t’étais laissé emporter, dans tes mots, crachant des vérités bien trop violentes à la face de ta sœur qui finalement ne souhaitait que partager un bonheur, mais dans tes gestes aussi, attrapant brusquement par le bras une androïde qui passait simplement par là, l’exhibant devant Olga comme un simple objet sans la moindre importance, parlant d’elle comme si elle n’était même pas là.
Toujours autant aveuglé par la colère, ce ne fut que lorsque la jeune androïde te frappa en plein torse, dégageant son bras de ton emprise avant de s’éloigner de quelques pas que tu réalisas ce que tu venais de faire, bien plus mortifié par tes actes que par le fait d’être face à une énième déviante.
Aussi dures que puissent être les paroles qui sortirent de sa bouche ensuite tu les acceptas sans broncher, sentant le regard lourd de reproches que te jeta Olga avant de tourner les talons. Le genre de regard qui brûle sans même te toucher.

“Olga !”

Tu eus beau crier son prénom à plusieurs reprises, elle ne se retourna pas. Tu la vis s’éloigner petit à petit jusqu’à ne devenir qu’une petite tâche à l’horizon.

Putain. Quel con mais quel con.

L’air déconfit, pour ne pas dire que tu avais clairement l’air d’un môme perdu devant les conséquences d’une énorme bêtise, tu tournas le regard vers l’androïde, toujours à quelques pas de toi. Tu jugeas d’ailleurs plus prudent de ne pas l’approcher pour ne pas l’effrayer ou la braquer davantage. Sait-on jamais, elle pourrait avoir, cette fois, la riche idée de frapper ton intimité.

“Excuse moi. Androïde ou pas je ne suis pas pour la violence et mon geste n’était probablement pas le plus délicat ni le plus approprié”

Passant une main, las, sur ton visage, tu cherchas quoi ajouter pour te dédouaner mais rien ne te vint à l’esprit, tu étais coupable et les faits qui avaient précédé ton geste, tes circonstances, atténuantes ou non, ne changeraient certainement pas cet état de fait alors tu pris le parti de simplement expliquer les choses telles qu’elles étaient.

“Je m’appelle Simone. La fille c’était ma grande sœur, Olga. Elle venait juste de m’annoncer qu’elle était en couple avec un des vôtres, un androïde déviant. Je suis ingénieur, je ne pense pas que vous puissiez être réellement conscients, je pense que vous souffrez d’un bug qui vous le fait croire et que nous sommes trop stupides et empathiques pour être capables d’y réagir correctement. Je pense que c’est soit une erreur, soit un sabotage volontaire, je passe ma vie à chercher la vérité, c’est pour ça que je me suis énervé contre elle et que tu as été une victime collatérale de notre petit drame familial. Désolé”