Alexander allait bientôt rentrer du travail. Eli était pas mal stressé, mais également impatient. Car aujourd’hui, c’était l’anniversaire de leur rencontre. Aujourd’hui, ça faisait quatre ans qu’Eli avait ouvert les yeux dans cet appartement, quatre ans qu’il était avec Alexander. Et quatre ans, ça se fêtait, non ? Avant de devenir déviant, il n’aurait probablement jamais songé à faire une chose pareille, mais maintenant, tout était différent. Eli adorait Alexander qu’il aimait affectueusement appeler « son humain » ou encore « son humain préféré ». Il ressentait quelque chose pour lui, quelque chose qu’il ne comprenait pas, quelque chose qu’il n’arrivait pas à qualifier. Mais ce quelque chose était bel et bien là et l’incitait à faire plaisir à l’inspecteur, autre qu’en lui faisant son ménage ou en lui préparant des petits plats. Parfois, Eli se demandait quand même comment il faisait pour supporter cet humain depuis tant d’années. Il était bordélique, ne faisait pas du tout attention et balançait ses chaussettes et ses slips n’importe où. Au grand désespoir d’Eli qui repassait toujours derrière lui pour tout ramasser. Néanmoins, il avait abandonné l’idée de lui inculquer un peu de savoir-vivre. C’était peine perdue. Et puis, au fond, ça ne dérangeait pas tant que ça l’androïde. Il voulait juste être utile. Car parfois, il avait cette peur irrationnelle d’être abandonné, jeté. Qu’un jour, Alexander lui dise qu’il n’avait plus besoin de lui. C’était idiot. Il le savait au fond…mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Il ne savait pas vraiment ce que pensait son humain de lui, mais il devait au moins bien l’aimer, non ? Par moments, Eli se disait que les choses avaient été tellement plus simples lorsqu’il n’était pas déviant. Il ne se posait pas de questions, il faisait juste ce qu’on lui demandait. A présent, il s’interrogeait sur tout et n’importe quoi à longueur de journée. S’il était capable de ressentir la fatigue, il serait probablement éreinté.

Quoiqu’il en soit, il avait donc préparé un petit dîner surprise pour Alexander. Non, c’était plus qu’un dîner, c’était un festin. Eli regrettait parfois de ne pas pouvoir manger avec lui. En soi, il ne se plaignait pas de sa condition d’androïde, il savait qu’il ne pouvait rien y changer. Mais parfois…il se demandait ce que ça faisait d’être humain, de manger, de boire comme tout le monde. Certes, il buvait du thirium, occasionnellement, mais ce n’était pas vraiment pareil. Il ne savait même pas si ce qu’il préparait était bon. Mais vu qu’Alexander ne s’en était jamais plaint, il supposait que ça l’était. Il avait dressé la table et avait sorti les plus belles assiettes et couverts. Il avait préparé différents plats coréens dont son humain raffolait, ainsi qu’un gâteau arc-en-ciel, donc avec différentes couleurs. Il avait accroché des ballons et une guirlande, ainsi qu’une petite banderole qui disait « Happy Anniversary ». En avait-il trop fait ? Peut-être. Il ne savait pas. Il ne semblait pas vraiment connaître la demi-mesure. Dans tous les cas, il espérait que ça plairait à Alexander. Il avait aussi prévu de lui jouer un petit morceau au piano. Maintenant que tout était prêt, il ne restait plus qu’à attendre. En espérant qu’Alexander ne soit pas obligé de faire des heures supplémentaires.

Eli commença à faire les cent pas dans le salon jusqu’à entendre la porte s’ouvrir. Il se cacha derrière le canapé et attendit qu’Alexander soit entré avant de bondir, les bras levés. « Joyeux anniversaire ! » Quel con. Alexander allait penser qu’Eli avait oublié son anniversaire. Alors, il s’empressa d’ajouter. « C’est notre anniversaire de rencontre ! Quatre ans déjà ! » Il esquissa un grand sourire, puis se précipita vers son humain pour lui faire un gros câlin. « J’ai préparé tout ça pour toi ! J’espère que tu aimeras ! » De toute façon, il n’avait d’autre choix que d’aimer !

Eli était vraiment fier de sa surprise. Il était persuadé qu’Alexander ne s’y attendait pas du tout. Il aurait probablement même oublié que ça faisait quatre ans, aujourd’hui. En même temps, pourquoi s’en rappellerait-il ? Généralement, on fêtait ce genre de trucs en couple, non ? Du moins, il avait entendu ou lu ça quelque part. Peu importe. Il avait juste envie de faire plaisir à son humain et de marquer le coup. C’était étrange. Depuis qu’il était déviant, il semblait accorder plus d’importance à ce genre de petits détails. Avant, il réfléchissait de façon logique, il suivait simplement les ordres, ce pour quoi il avait été programmé. A présent, il agissait de plus en plus selon ses envies et selon ce qu’il ressentait. Les sentiments, les émotions. C’était si nouveau pour lui, même des mois plus tard. Il n’y comprenait pas grand-chose, mais il n’en avait jamais réellement parlé à Alexander non plus. Il ne voulait pas l’embêter avec ça, se disant qu’il avait d’autres chats à fouetter. Comme des criminels à attraper. C’était plus important que les sentiments d’un pauvre androïde perdu. Androïde qui tenait vraiment beaucoup à son humain, sans doute plus qu’il ne le réalisait lui-même. Il ne savait pas ce que c’était, mais il était certain d’une chose : il voulait le garder pour lui. Il voulait qu’il reste à ses côtés et il avait peur qu’un jour, quelqu’un arrive et le lui vole. C’était idiot. Ridicule, même. Alexander était un humain. On ne volait pas les humains. Mais peut-être que ce maudit Gabriel partirait avec lui un jour. Il semblait beaucoup l’aimer. Non. Stop. Il devait arrêter de penser à ces choses-là. Il ne réalisait même pas qu’il ressentait de la jalousie. De la jalousie envers le meilleur ami de son humain. En attendant, ce meilleur ami ne lui préparait pas de bons plats tous les jours !

Et justement, de délicieux plats attendaient le retour d’Alexander. Alexander qui, comme prévu, ne s’y était pas du tout attendu. Il avait l’air vraiment surpris. Puis, il avait l’air content. Il lui rendit même son câlin. Eli sourit en se blottissant contre lui. S’il le pouvait, il ne le lâcherait plus jamais. Il ne savait pas pourquoi il aimait tant être dans ses bras, mais c’était un fait. Il fit même une petite moue lorsqu’Alexander finit par se décoller. Mais il semblait content. Il le remercia. Il lui disait que c’était parfait. Il reconnaissait ses efforts. « Ça me fait plaisir de te faire plaisir ! » Il sourit et ferma les yeux lorsque le jeune homme lui caressa la tête. Puis, il changea d’expression d’une seconde à l’autre, feignant l’agacement et repoussant la main de l’autre. « Arrête de faire ça ! Tu me décoiffes ! » Il râlait, oui. Mais surtout pour la forme. Pour embêter Alexander. Au fond, ça ne le dérangeait pas du tout. Il aimait toutes les marques d’affection de son humain. « Je ne suis pas un chien, tu sais ! Si tu veux caresser quelqu’un, prends un chien ! Ou un chat ! » Il croisa les bras et fit une moue faussement boudeuse qui ne dura pas bien longtemps. En effet, Alexander venait de sentir l’odeur du repas. « Bien sûr que ça sent bon, c’est moi qui l’ai préparé ! » Il afficha un petit air fier. « J’ai fait tout ce que tu aimes. » Et il commença à énumérer les plats qu’il avait préparés. « Je voulais en faire plus, mais je me suis dit que tu n’arriverais pas à tout manger. » Manger. Il savait ce que ça signifiait, il savait à quoi ça ressemblait, mais ça restait abstrait pour lui. Parfois, il se demandait ce que ça faisait de manger. Mais il ne le saurait jamais.

« Installe-toi ! Je vais te servir ! » Aussitôt dit, aussitôt fait. Il servit son repas à Alexander et s’installa en face de lui pour le regarder manger. Comme il le faisait à chaque fois. Ou presque à chaque fois. « Ah, attends ! » Il se releva et alla chercher un verre pour y verser un peu de thirium. C’était le maximum qu’il puisse faire. Il revint s’assoir et leva ensuite son verre en direction de celui d’Alexander. « A nos quatre ans ! Et à toutes les années à venir ! » Il fit tinter son verre contre le sien, puis le porta à ses lèvres pour en boire une gorgée. C’était la seule chose qui se rapprochait un peu de ce que faisaient les humains. « Tu as passé une bonne journée ? » Il n’y avait pas à dire, ils ressemblaient vraiment à un petit couple, là.

Eli commençait à développer son petit caractère depuis qu’il était déviant et il lui arrivait effectivement de râler quand Alexander l’embêtait un peu. Mais ce n’était jamais bien méchant. Et puis, au fond, il aimait ça. Il ne l’avouerait évidemment jamais, sinon son humain s’en donnerait vraiment à cœur-joie. Il ne fallait pas exagérer non plus ! « Quoi ? » Il le regarda avec des yeux incrédules lorsqu’il parla de le remplacer par un chien, mais heureusement, il se rattrapa en disant qu’il n’allait jamais le remplacer. Avant d’ajouter une connerie. Evidemment. Il fallait qu’il gâche une déclaration aussi mignonne par une connerie. Eli fronça les sourcils avant de se mettre à rire franchement. « T’es bête ! » Il lui donna une légère tape sur le bras, se sentant toutefois assez surpris d’avoir eu un tel geste, un geste qui lui était venu naturellement. « Mais merci ! Moi non plus, je ne te remplacerai jamais par un autre humain ! » Et le voilà qui refaisait un câlin à Alexander. Il n’y avait pas à dire, il tenait vraiment beaucoup à lui. Sans doute beaucoup trop. Et il ne le comprenait pas réellement. Il avait essayé de comprendre, il avait même demandé à une déviante rencontrée un peu plus tôt, une déviante qui, elle, était amoureuse et ne s’en cachait pas. Il avait voulu comprendre comment ça arrivait et comment savoir qu’on était amoureux. C’était bien plus compliqué que ce qu’il pensait, au final. Une machine, bien que consciente, pouvait-elle réellement ressentir de l’amour ? Cette déviante en semblait convaincue, en tout cas. Les humains parlaient souvent de papillons dans le ventre et de cœur qui s’emballait à la vue de l’autre, mais Eli n’était pas humain. Il ne ressentait pas ses choses-là. Pourtant, il y avait bien quelque chose, il était au moins sûr de ça.

Ils passèrent donc à table, ou plutôt Eli servit ce qu’il avait préparé à Alexander. Ce dernier parlait toujours comme s’ils allaient manger ensemble. C’était touchant, dans un sens. En tout cas, il avait l’air d’aimer ce qu’il lui avait préparé et c’était l’essentiel. L’androïde esquissa un grand sourire, tout content. L’un de ses buts principaux était de rendre son humain heureux. Il savait au moins ça. Il en avait envie aussi. Il aimait voir Alexander content, il aimait le voir sourire, il aimait le voir de bonne humeur. Il le regarda manger pendant qu’il sirotait sa boisson spéciale androïde et l’interrogea sur sa journée. « Quoi ? Mais pourquoi il a fait ça ? Il n’est pas censé l’aimer ? Alors pourquoi lui faire du mal ? Je ne comprends pas. » Vraiment pas. Jamais il ne lui viendrait à l’idée de faire mal à Alexander ou même à un autre humain ou androïde. C’était incompréhensible. « Je suis sorti faire des courses et je me suis baladé un peu au parc. J’aime aller au parc, c’est joli et il y a souvent des gens qui y promènent leur chien. » Eli aimait les animaux et il ne ratait pas une occasion pour caresser tout chien ou chat qu’il croisait. Parfois, il aimait aussi juste s’assoir sur un banc et observer les gens qui passaient. Ça le fascinait.

Quoiqu’il en soit, il ne s’était même pas rendu compte qu’il était en train d’observer Alexander qui mangeait et ce, avec une certaine insistance, un sourire aux lèvres. On aurait presque pu trouver ça creepy, en fait. Si on ne savait pas qu’Eli était un vrai bisounours qui ne ferait pas de mal à une mouche. Une fois que son humain eut fini de manger, Eli se leva pour débarrasser la table, puis il prit Alexander par la main pour l’entraîner vers le canapé et l’inciter à s’y assoir. Il prit ensuite place derrière le piano et fit glisser ses doigts sur les touches, les frôlant à peine. « J’ai composé ça pour toi. » Oui, il avait bel et bien composé un morceau au piano. C’était quelque chose d’encore inconcevable il n’y a pas si longtemps et pourtant. Et puis, sans plus attendre, il commença à jouer. Un morceau inédit, un morceau qui venait de sa propre petite tête. Il ne savait pas si c’était bien, s’il y avait des émotions dedans ou non, il ne parvenait pas encore à juger ce genre de choses. Mais il espérait que ça plairait à son humain.