Depuis combien de temps Gabriel jouait-il à ce double jeu dangereux ? Depuis combien de temps était-il obligé de commettre des actes horribles juste pour ne pas se faire prendre et avoir encore une chance d’assouvir sa vengeance ? Mais cette vengeance semblait s’éloigner de plus en plus. Pourtant, il avait fait une promesse et il avait fait tant d’efforts ces dernières semaines, ces derniers mois, pour tout laisser tomber maintenant. Même si c’était dur, même si, parfois, il avait l’impression de devenir fou et même s’il commençait réellement à se détester, il devait tenir bon. Et puis, il n’y avait plus que sa vengeance. Il y avait aussi cette promesse qu’il avait faite à plusieurs prisonniers. La promesse de les libérer, de les faire sortir de là coûte que coûte. Seulement voilà. C’était très risqué et à ce jour, il n’avait pas encore trouvé de solution. Il lui fallait un plan en béton, mais il n’était pas certain de pouvoir y arriver tout seul. Or, ici, il n’avait aucun allié. Il ne pouvait faire confiance à personne. Alors, il faisait comme il pouvait pour aider ses amis, ses connaissances, ces personnes enfermées qui ne méritaient pas d’être là. Il leur apportait à boire, à manger, il essayait de leur parler un peu, de leur apporter un peu de réconfort, même s’il savait que ce n’était finalement pas grand-chose comparé à la souffrance dont ils étaient victimes. Il se demandait si Yloé tiendrait. La dernière fois qu’il l’avait vu, il était déjà très amaigri. Il avait vraiment peur pour sa survie. Et si on le jetait dans l’arène, aurait-il seulement une chance ? Même minime ? Aujourd’hui, il comptait aller voir le jeune homme et lui apporter de quoi se sustenter un peu. Mais rien ne l’avait préparé à ce qu’il s’apprêtait à vivre. Rien.

Le pire ? Il savait que Jake était là. Comment n’aurait-il pas pu le savoir depuis le temps ? Il essayait certes de passer le moins de temps possible ici, mais c’était inévitable. Il savait aussi qu’en se rendant à la prison, il finirait par y voir Jake. Et qu’il allait devoir supporter son regard accusateur, ses mots accusateurs aussi. Il l’entendait déjà le traiter de traitre. Mais il lui expliquerait. Et il comprendrait. Non ? Alors qu’il approchait de la prison, il crut entendre des bruits de lutte. Qu’est-ce qui se passait ? Les prisonniers se battaient encore entre eux ? Il soupira et ferma les yeux, se préparant mentalement à affronter Jake, mais toute la préparation du monde n’aurait pas pu l’aider, là. Il ouvrit la porte et réalisa tout de suite ce qui se passait. Il entendait la petite voix d’Yloé prier pour que quelqu’un leur vienne en aide. Il vit aussi Jake se faire tabasser par deux gardes. Jake qui était déjà en piteux état. Et merde ! Gabriel resta figé un instant. Il n’avait qu’une envie : foncer sur ces connards et leur faire subir ce qu’ils étaient en train de faire subir à son ami. Mais il ne pouvait pas. S’il faisait ça, ils sauraient qu’il les avait trahis. Qu’il jouait à un double jeu. Bordel ! Qu’est-ce qu’il devait faire ? Il finit par s’approcher de la cage en question et s’adressa aux deux gardes. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » Il fit de son mieux pour ignorer Jake, il ne voulait pas voir son regard, son expression. Il ne voulait pas voir Yloé non plus. Yloé qui savait que Gabriel n’était pas un traitre – du moins, il l’espérait, suite à leur dernière entrevue. L’un des gardes se tourna vers Gabriel, un sourire mauvais aux lèvres. « On lui donne une petite leçon, ça se voit pas ? » Il se mit à rire comme le connard qu’il était tandis que son pote donna un autre coup à Jake. « Tu veux te joindre à nous ? Allez, fais-toi plaisir ! » Pouvait-il seulement refuser ? Nul doute qu’ils allaient trouver ça suspect. « Vous n’avez pas mieux à faire ? » Pour toute réponse, il obtint de nouveaux rires jusqu’à ce que l’un des gardes le pousse vers Jake. « Allez, frappe-le ! Il le mérite ! Il a tué beaucoup de nos collègues. » Merde, merde, merde ! Gabriel serra les poings, puis donna un coup à Jake, assez fort pour le faire tituber. Il ne voulait pas le faire, mais ces deux idiots ne le lâchaient pas. Ils se mirent même à applaudir. Vite, un plan. S’il était assez rapide, s’il les prenait par surprise, il pourrait les éliminer tous les deux. Et ensuite ? C’était risqué, sans doute trop risqué. Mais quelle autre option y avait-il ? Passer Jake à tabac et s’en aller avec les deux idiots ? Ce n’était même pas envisageable.

Gabriel aurait aimé pouvoir dire que tout ceci n’était qu’un cauchemar, que Jake n’était pas là et que Gabriel n’était pas obligé de frapper celui qu’il considérait comme son meilleur ami. Sans doute que ce dernier devait déjà le détester, maintenant. Certes, il ne connaissait pas toute l’histoire, mais il savait très bien de quoi ça avait l’air. Et pour garder la face, l’inspecteur avait même frappé son ami. Et ça faisait mal. Il devait absolument trouver un moyen de mettre fin à tout ça, puis de faire sortir Jake d’ici. Qu’il le déteste, qu’il le maudisse, qu’il le frappe même, peu importe. Il le ferait sortir coûte que coûte. Il s’en fit la promesse et il en fit la promesse tacite à Jake qui, évidemment, ne se doutait de rien. Il se sentait probablement trahi à ce moment précis. Gabriel avait juste envie de frapper ces deux gardes, de leur faire bouffer leur sourire et leur rire mesquin, de leur faire subir ce qu’ils faisaient subir à son ami. Si seulement il pouvait. Mais si ces deux crétins disparaissaient d’un coup, ce serait suspect. Et il y avait probablement des témoins qui avaient vu Gabriel entrer dans cette pièce. Il serait le premier suspect et il savait quel sort on lui réserverait. Il l’avait toujours su, au fond. Mais il n’était pas prêt à abandonner sa mission personnelle. Il n’était pas prêt non plus à abandonner Jake. Hors de question. La situation commença rapidement à dégénérer lorsque Jake tenta de se défendre, mais il ne fit que gagner des coups supplémentaires. Gabriel serra les poings. C’était insoutenable. Que devait-il faire ? Que pouvait-il faire ?

Les mots de Jake le firent revenir à la réalité, alors qu’il était en train de se perdre dans ses pensées, à la recherche d’un plan éventuel. North. Voilà la solution ! Alors que l’un des gardes s’apprêtait à frapper à nouveau Jake, Gabriel le stoppa net en s’interposant entre Jake et lui. « Ça suffit ! Vous croyez que North vous pardonnera d’avoir abîmé son jouet préféré ? Regardez dans quel état il est ! » Il regarda l’androïde en face de lui droit dans les yeux. Il ne bougerait pas. Bien sûr, il n’avait aucune envie de voir son meilleur ami torturé par North ou par qui que ce soit, mais pour l’heure, elle était la solution pour mettre fin aux coups. Du moins temporairement. Car Gabriel n’était pas dupe, il savait que ça risquerait de recommencer lorsqu’il ne serait pas là. « Je crois que vous en avez assez fait. » L’androïde se mit à rire comme l’idiot qu’il était. « Tu essaies de défendre ton semblable, humain ? » « Je n’en ai rien à faire de lui. Je pense à vous, c’est tout. Mais je vous en prie. Si vous ne tenez pas à la vie, continuez. » Il se décala de façon démonstrative, mais, par miracle, ses mots semblaient avoir fait mouche. « Je m’occupe du reste. Accompagne-le, je doute qu’il soit capable de sortir d’ici tout seul. » Il fit évidemment référence à l’androïde que Jake avait abîmé. L’autre ne semblait pas très emballé par l’idée d’écouter un humain, mais il obtempéra tout de même et attrapa son collègue pour l’emmener dehors. Gabriel poussa un soupir se soulagement, puis se tourna vers Jake. « Jake ! Je suis désolé ! Je ne voulais pas te frapper. On n’a pas beaucoup de temps, mais…ce n’est pas du tout ce que tu crois. Je te le jure. J’ai mes raisons. Et je te dirai tout quand tu seras sorti d’ici. » Il chercha son regard des yeux, il voulait qu’il voie qu’il était sincère, qu’il ne mentait pas. Et oui, il était prêt à tout lui déballer. Leur amitié était bien plus importante à ses yeux. Et il savait que jamais Jake ne le trahirait en le vendant. Du moins, une fois qu’il serait convaincu de la sincérité de Gabriel. Et quelque chose lui disait que ce serait compliqué. « Aie confiance en moi. Je vais te faire sortir d’ici d’une façon ou d’une autre. Alors accroche-toi. D’accord ? » S’il pouvait juste l’emmener maintenant, tout de suite, il le ferait.