What do you want ?Debout sur le quai de la gare, les yeux rivés sur le temps d’attente avant le prochain métro qui descendait bien trop lentement à ton goût, tu étais d’une humeur particulière ce matin là, probablement à cause du travail qui t’avait tenu éveillé toute la nuit durant, le genre de travail que tu détestais tout particulièrement, tu préférais mille fois quand on venait te demander de modifier, réparer des androïdes ou effectuer des piratages inoffensifs mais quand on venait à toi des larmes plein les yeux en te demandant de supprimer des photos bien trop intimes qui avaient fuitées tu en terminais dégoûté de l’espèce humaine. Idéaliste ou trop élevé dans ta bulle de bienveillance tu n’avais jamais réussi à t’habituer à leur cruauté.
C’était dans ce genre de pensées que tu te noyais en regardant les minutes qui refusaient de défiler, mordillant l’ongle de ton pouce nerveusement, tapotant du pied, c’était dans ce genre de moments où pendant quelques secondes tu avais des éclairs de lucidité ou de folie où tu te demandais si le monde pourrait être différent si on le laissait aux mains des androïdes, si leur déviance, même provoquée par un bug -tu n’en démordrais jamais- ne serait finalement pas
moins pire que la nature profonde des hommes qui exposaient l’intimité des autres pour se venger.
Ce fut une voix qui t’arracha à tes pensées, une voix qui t’interpellait sous un nom que personne n’utilisait dans l’espace public habituellement. Tu avais bien ajouté quelques photos de toi à ce blog secret où tu étalais toutes tes pensées concernant l’existence des androïdes depuis des années mais tu ne pensais pas qu’elles permettaient de t’identifier si facilement pourtant- prises de profil, de dos, zoomées sur tes yeux- mais en relevant les yeux vers ton interlocutrice tu compris immédiatement.
Si les photos en question n’avaient jamais permis à un être humain de te reconnaître, de reconnaître Malic, pas même aux policiers qui ne cessaient de tourner autour de toi depuis des années, elles n’apparaissaient évidemment pas de la même façon aux yeux et à l’esprit bien plus performant des androïdes, constat qui ne fit que soulever d’autres questions car quel androïde pouvait bien s’intéresser à un blog pseudo-anonyme d’un jeune ingénieur suédois qui ne faisait que noircir des pages et des pages d’interrogations, avis et recherches à leur sujet.
Tu posais sur elle des yeux intrigués.
“C’est moi oui. Je peux faire quelque chose pour toi ? “Puis, détaillant plus précisément les traits de son visage, ce que tu aurais fait en premier si tu n’avais pas manqué à ce point de sommeil, tu remarquas autre chose qui te donna l’impression de recevoir un uppercut en plein estomac.
“Tu es une Traci non ?”Tu parlais à mi-voix en l’interrogeant, d’abord pour ne pas attirer l’attention de tout le quai sur vous mais aussi parce que tu peinais à reprendre correctement ton souffle.
La question était bien évidemment rhétorique et si elle connaissait Malic comme elle prétendait le dire, elle le savait très bien.
“Est-ce que...Est-ce que tu vas bien ?”Tant d’empathie venant de toi envers ceux que tu reléguais très souvent au même niveau que ton frigo ou ton four à micro-onde pourrait probablement surprendre -et tes pensées précédentes ne pourraient pas servir à tout justifier- mais les Traci étaient les seuls androïdes pour lesquels tu ressentais réellement quoique ce soit.
Tu avais été opposé dès le début à leur création puis à leur "utilisation'', tu avais pris position contre dans ton blog à de nombreuses reprises et depuis les premiers cas de déviance, ils n’avaient jamais quitté ton esprit. Tu avais beau être persuadé qu’il ne s’agissait que d’un simple bug, tu avais beau être sûr que leur conscience était factice, peu importe à quel point ils se persuadaient d’y croire, personne,
personne, machine ou humain, ne devrait avoir à vivre un tel traumatisme qu’il soit réel ou simulé par quelques lignes de code sabotées.