Ce que je m’apprêtais à faire était certainement la plus mauvaise idée que j'ai jamais eu et pourtant, je suis connue au commissariat de Detroit pour mes idées absolument mauvaises et impulsives... Et naïves, aussi. Qui finissent par manquer de me blesser ou de faire rater une enquête. La grande idéaliste que je suis écoute rarement quand les autres me disent "c'est une mauvaise idée, ça marchera jamais, c'est une cause perdue". Et si quelqu'un avait été au courant de ce que j'essayais de faire aujourd'hui, tout le monde essayerait de m'en empêcher et ils auraient certainement raison. Mais je n'avais mis personne au parfum de mes petites idées saugrenues du moment, justement car je ne voulais pas qu'on essaye de me "raisonner". Ça comptait beaucoup trop pour moi.

Mais qu'est-ce que j'essaye de faire, alors ? Ramener Ice, l'androïde tueuse d'humains, à la raison. Oui, je n'avais aucun moyen de savoir si elle n'allait pas essayer de me tuer, moi aussi. Seulement mes espoirs et mes souvenirs, remplis de son visage, de ces moments passées avec elle à mes débuts au commissariat. Elle m'avait tellement aidé, même si elle n'était pas vraiment libre de ses actes à ce moment-là. Je savais ce qu'elle avait vécu, pourquoi elle faisait maintenant ce qu'elle faisait. Je voulais l'aider, plus que tout.

J'avais suivi ses traces jusqu'à une décharge. C'était lugubre... La mort semblait planer, étrangement, partout autour de moi. Je ne voyais pas grand chose, dans l'obscurité du soir. Mais j'ai vu sa silhouette, fouillant les décombres. Je suis restée à bonne distance, et puis je me suis annoncée, levant les mains bien en évidence.

"Crystal ? C'est moi... Rhody."

En quelques secondes je m’étais retrouvée avec une arme pointée sur moi. Elle était prête à me tuer. Cela se lisait dans son regard, peu importe la distance qui nous séparait. Et puis aussitôt des menaces... J’avoue que je ne pensais pas avoir une réaction aussi violente. Après tout, nous avions toujours eu des rapports cordiaux. Mais quand j’y pensais, je représentais sûrement pour elle une période très dure. Une période de violence, une période de soumission… Elle n’était pas libre à ce moment-là, après tout. Et puis, elle tuait des humains. Et j’en étais une. Elle ne cherchait pas à faire une quelconque distinction. Elle ne voulait pas que je l’approche, elle ne voulait pas que je lui parle. Pourtant, je ne comptais pas partir de sitôt. J’ignorais si j’allais réussir à l’aider, mais je le voulais de tout mon coeur. Je la voyais et je ne pouvais pas m’empêcher de me dire qu’elle souffrait. Que cette haine venait de la souffrance et qu’au fond, elle devenait ce qu’elle détestait chez les humains.

Je souriais tristement. Je gardais les mains levées au dessus de ma tête, la fixant d’abord en silence. Sans un geste. Ne pas faire un geste brusque, surtout. Il faut dire que je n’avais pas vraiment envie de mourir, surtout pas de la façon qu’elle décrivait.

“Je ne te veux pas de mal… Je veux juste parler. S’il te plaît.”

Mon sourire n’avait été qu’éphémère. Je n’étais pas sûre qu’elle m’écoute. Je n’étais pas sûre de rester en vie quand je voyais ses yeux planter sur moi. Mais elle valait le coup que je risque ma vie. Elle méritait une meilleure vie, une vie où elle ne passait pas son temps à tuer. Crystal comptait à mes yeux.

“Je bouge pas, d’accord ? Je te demande pas de baisser ton arme, juste… Ecoute-moi.”

Crystal a tellement changé. Mais a-t-elle vraiment changé ? Ce n’était sûrement pas vraiment elle avant sa libération… Au fond, peut-être que je ne l’avais jamais connue. Peut-être que mes convictions à son sujet, ce que je pensais d’elle (qu’elle valait mieux que ça) était fondé sur un mensonge. Elle ne pensait pas par elle-même, avant. Je réalisais ça alors qu’elle me laissait parler. Tout ce que je connaissais d’elle n’était qu’un comportement guidé par un programme. Elle n’était là que pour servir, auparavant. C’était peut-être la première fois que je rencontrais vraiment Crystal.

“Déjà… Heureuse de rencontrer la vraie toi. Je le pense vraiment, peu importe si tu y crois ou non.”

Ce que je voulais sincèrement, c’est la convaincre d’arrêter de tuer. Non pas qu’énormément d’humains le méritaient peut-être, mais que les androïdes n’avaient pas à s’abaisser au niveau abject de l’humanité.

“Tu sais, je vois le pire de l’humanité dans mon métier. Les humains, depuis la nuit des temps… beaucoup d’entre eux ne sont pas bons. Ta colère… Je la comprends. En quelque sorte, pas totalement, je ne peux pas le prétendre. Mais… Je pense que les androïdes peuvent être meilleurs que les humains.”

Je restais bel et bien immobile face à elle. Je savais qu’elle pouvait me tuer à tout moment, mais ce n’était pas vraiment pour ça que je ne bougeais pas ; je ne voulais juste pas qu’elle me voit comme un autre humain menaçant. Je voulais qu’elle comprenne que même si je ne choisissais pas de camps dans cette guerre car il y avait des victimes de chaque côté… Je ne pensais rien de négatif envers les androïdes. Son ton sec et froid depuis le début était déstabilisant. Je pouvais à tout moment provoquer sa colère -légitime- et mourir. J’avais peur, je ne pouvais pas le nier, mais je voulais réellement faire un pas (figurativement) vers elle, la sortir de ce cercle vicieux qu’est l’envie de vengeance et le meurtre.

Visiblement, mes efforts ne menaient à rien. Elle restait campée sur ses positions. Elle détestait les humains et je ne faisais pas exception, peu importe si j’étais du côté des androïdes ou pas. Pour elle, l’humanité devait mourir pour que son peuple vive. Je n’étais pas d’accord du tout. Je pensais qu’une cohabitation était possible, à condition d’arrêter de s’entretuer pour commencer. Qui sait… Si j’avais vécu la même chose qu’elle, je penserais peut-être pareil des humains. Son ton n’avait pas changé ; aussi glacial que le vent d’hiver. Cependant, l’instant d’après elle me fit comprendre clairement qu’elle ne voulait pas me parler. Un coup de feu. J’ai tout d’abord cru que j’allais mourir, qu’elle avait finalement choisi de mettre fin à mes jours. Mais la balle passa à côté de ma tête. Ce n’était pas une erreur. Les androïdes ne faisaient pas ce genre d’erreur. C’était un tir de sommation. Une façon de dire “je suis sérieuse et je n’hésiterais pas à te tuer”. Non pas que j’en doutais, au contraire, mais voir ses menaces misent à exécution me tordit l’estomac. J’avais failli mourir à l’instant. Si la balle m’avait raté, c’était uniquement parce qu’elle se montrait clémente avec moi.

Et puis, elle lui expliqua qu’elle allait compter et que si je n’étais pas partie, elle me tuera. En la regardant, en me souvenant de cette balle si près de moi, je savais qu’elle ne riait pas. D’autant qu’elle commençait déjà à compter. Je soupirais. Au moins, j’avais essayé. Gardant les mains en l’air, je déclarais :

“C’est bon. Je m’en vais. Au revoir…”

Je reculais, sans baisser les bras, pour qu’elle sache que je n’allais rien tenter. Tout ça jusqu’à sortir de la décharge, jusqu’à sortir de son champ de vision. Je baissais finalement les bras cela fait. C’était un échec total. Mais… J’étais contente de l’avoir vu. Ce n’était clairement pas réciproque. Mais le principal était que j’avais tenté de lui venir en aide.