Here I come dirty asshole

Allez c'est parti ! Assis et menotté à l'arrière d'une voiture de police, Owen venait encore de se faire choper. Toujours en train de dealer de la Red Ice dans les rues de Détroit. Il avait beau changer de secteur, diversifier sa clientèle et continuer de se faire de pognon dans le dos de tous, quelqu'un continuait de le dénoncer à la police. Bon, ça le faisait rire de retrouver son lieutenant préféré ! Ce bon vieux Anderson qui allait péter un câble en le voyant. Parce que le rouquin était multirécidiviste, qu'il payait sa caution comme un grand avant de recommencer à vendre ses cristaux rouges. Il n'y avait rien à faire ! Il refusait catégoriquement de changer. Pourquoi virer de bord alors qu'il se démerdait très bien tout seul ?

Gyrophares allumés, la voiture avalait les kilomètres vers les bureaux de la brigade. Qui était au volant ? Un jeunot qu'Owen ne connaissait pas. Il aurait préféré tomber sur Tic & Tac ! Les dénommés Hwang et Park qu'il prenait pour des guignols en tenue de parade. Non, il ne les aimait pas du tout. Parce qu'ils ne valaient pas le caractère nul à chier de Hank. Contraint de devoir patienter une quinzaine de minutes avant de regagner la cellule de la DPD, le poil de carotte entama une mélodie sur un air de AC/DC. Il chantait faux, ce qui n'aidait pas les agents à se concentrer à l'avant. Et lorsqu'enfin la tribu regagna l'entrée de la police, ce fut sans le moindre ménagement qu'Owen fut exhorté à sortir de la voiture. Il kiffait être trimballé de toutes parts, comme s'il était une popstar convoitée. Machinalement, il ferma les yeux et se laissa guider au travers de tout ce monde qu'il connaissait sur le bout des doigts, et à la seconde où ses pieds foulèrent l'open-space principal...

▸Hey Hankounet ! Devine qui est là ?

Il hurlait de rire le bougre. Parce qu'il savait qu'un grognement allait surgir de la bouche du lieutenant Anderson. Que Fowler risquait de le convoquer dans son bureau et de lui faire la tête au carré. Parce que le sale gamin qu'il était arpentait toujours les rues en quête de vendre cette saloperie au plus offrant, et qu'à moins d'un miracle il ne comptait jamais s'arrêter. Quitte à en crever !

Here I come dirty asshole

Le sale gamin fut escorté directement en salle d'interrogatoire. Il en riait le rouquin, parce que le même scénario se répétait, encore et encore, et qu'il allait s'en tirer de la même manière : deux semaines de taule, et il serait relâché ! Faute de preuves comme d'habitude ! Car les flics avaient sans arrêt le mauvais timing. Il se faisait choper après avoir vendu son stock. Il n'avait rien sur lui, pas même une quelconque carte d'identité pour prouver qui il était. Est-ce qu'il devait réellement se présenter depuis toutes ces années ?

Il traversa un long couloir et fut balancé sans ménagement sur une chaise métallique. Menotté à la table d'interrogatoire, il prit ses aises et reprit sa chanson sur AC/DC d'un air toujours aussi faux que dans la voiture. Il tapait du pied, secouait la tête dans tous les sens... Oui, il faisait le show à lui tout seul ! Parce qu'il savait que derrière la vitre sans teint se cachait deux ou trois agents restés pour le surveiller ou pour assister à sa plaidoirie. Il attendit un court instant avant d'entendre les pas rapides de son lieutenant de police préféré. Hank Anderson, en chair et en os, muni de son dossier qui ne cessait de grossir au gré de ses passages. Et il n'était pas prêt de s'arrêter.

▸Et bien Hankounet ! J'ai failli attendre !

Provocation classique d'un petit con sûr de lui. Bien entendu, il n'avait pas encore le droit de se faire défoncer la gueule, sous peine de lourdes sanctions. Mais il se contrefoutait du sort de celui qui allait passer pour le dernier des incompétents dans les minutes qui allaient suivre.

▸Alors ? Qu'est-c'que j'peux faire pour toi cette fois ?

Au secours... Ce qu'il pouvait faire ? Sérieusement ? Se ranger, tout simplement. Prendre conscience qu'il distribuait le chaos autour de lui à cause de la Red Ice, que c'était ignoble et qu'il devait y mettre un terme avant de terminer égorgé dans une rue sale de Détroit. Ah ! Vous y croyez vraiment ? Owen aimait trop ça. Il n'en prenait pas lui, mais il connaissait les effets que pouvait avoir cette saloperie sur le corps humain, surtout en phase de manque. Il pouvait remercier sa défunte mère pour cette leçon dont il ne voulait pas ! Mais pour l'instant, c'était Hank qui allait s'en prendre plein la poire...

Here I come dirty asshole

Owen n'avait guère le choix que de répondre aux questions du lieutenant Anderson ! Le vieux rabat-joie n'aimait pas entendre ce sale gamin lui claquer ce surnom un peu trop familier pour le commun des mortels. De toutes manières, il était énervé rien qu'en le voyant. Bla bla bla... s'amusait-il à dire pendant qu'il faisait mine de regarder ce qu'il y avait dans son gros dossier personnel. Aussi long qu'un jour sans pain ! Inutile d'insister à ce que Hankounet lui relise la totalité, il savait pertinemment n'être qu'un putain de récidiviste jugé immature et inconscient.

▸Toujours la même rengaine lieutenant.

Dire du rouquin qu'il gâchait sa vie à vendre cette saloperie de Red Ice dans les rues malfamées de Détroit... Il n'en pouvait plus d'entendre toujours la même chose à tel point qu'il snobait volontairement les propos du lieutenant. Et rien ne l'empêchait de sourire comme le dernier des cons accomplis en attendant qu'il finisse d'user de sa salive pour rien.

▸Bordel de merde !

Owen n'avait pas à faire au jeunot premier de la classe de sa promo et fraîchement sorti de l'école de police pourtant ! Est-ce qu'il croyait vraiment que le poil de carotte ici présent allait lui donner ce qu'il rêvait d'entendre depuis toutes ces années où le duo jouait au chat et à la souris ?

▸Combien d'fois j'vais devoir te l'répéter ? J'sais pas d'quoi tu parles Hankounet. J'ai pas d'complices... J'ai pas d'clients non plus ! J'ai rien dans les poches putain ! Tes agents sont nuls à chier et t'es pas capable de l'voir hein ?

Coup de théâtre. Il éclata de rire en tapant du poing sur la table d'interrogatoire. Prendre Hank pour un imbécile ? Ça il savait le faire. Mais il risquait de se manger un pain dans sa tronche s'il insistait lui aussi. D'habitude, il se contentait de lui crier des âneries toutes aussi folles les unes que les autres. Mais cette fois, l'envie de pointer du doigt l'inefficacité de la police l'avait beaucoup trop démangé.

Here I come dirty asshole

C'était un fabuleux dialogue de sourds. Anderson exigeait des infos qu'Owen ne voulait pas lui donner. Des mois, des années que le même refrain faisait écho dans cette salle ! Parce que le rouquin n'était pas résolu à balancer le moindre mot sur ses activités. Parce qu'il ne possédait rien dans les poches... Parce que les agents de la police se foiraient à chaque coup et qu'il préférait rester en prison tout frais payé que de se séparer de sa précieuse drogue rouge. Alors lorsque le lieutenant insista une nouvelle fois, pointant du doigt les méfaits du sale gamin ainsi que son avenir pitoyable, sans oublier de l'enfoncer vis-à-vis de ses collègues, il y eut une réaction, toute simple. Certes, ils n'avaient pas tous le mérite de montrer de l'excellent travail, mais eux au moins ils en avaient un ! Ce à quoi Owen répondit sans se priver la pire des phrases qui soit.

▸J'm'en tape ! Trouve autre chose Hankounet.

Rien à carrer l'ancêtre... L'ultime affront que le poil de carotte pouvait faire au vieux bourru énervé. Fermer sa gueule, cacher encore plus profond ses secrets, à la limite de lui faire un joli doigt d'honneur mais ça... Il se le réservait pour quand il serait enfermé en cellule dans les prochaines minutes. Hank pouvait se vanter d'avoir tout son temps, il allait le perdre, c'est tout. Et Owen en avait parfaitement conscience ! De le prendre pour le roi des crétins finis, d'abuser de l'hospitalité de la DPD pour ses conneries habituelles. Il pourrait y mettre un terme, et aller sur le droit chemin pour la première fois de sa vie, mais où était l'intérêt là-dedans ? Jouer les bons partis pour une jolie nana farouchement amoureuse de lui ? Trop peu pour Owen... Non, il avait trop envie d'enfoncer le clou. En reprenant sa chanson là où il l'avait arrêtée, avec la ferme intention de faire criser son lieutenant préféré.

▸Allez ! Chante avec moi Hee Ah !

Et c'est reparti, AC/DC sortait de ses lèvres si faux qu'il pourrait presque casser le verre sans teint de la salle d'interrogatoire. Il haussait le ton, tapait du pied sur le sol, secouait de nouveau la tête comme s'il se sentait possédé par cet air entraînant qu'il avait dans le fond de son crâne endurci. Alors Hankounet, que vas-tu faire maintenant ?

Here I come dirty asshole

C'était fini. Owen n'écoutait plus Anderson de toutes manières. Il pouvait même lui cracher au visage les pires horreurs sur lui ou sa famille, ça ne lui faisait ni chaud ni froid, parce qu'il était démuni de compassion. L'attrait-même du sociopathe qui vivait en lui depuis si longtemps... Et en plus il se répétait l'ancêtre ! Comme s'il n'avait pas compris les deux premières fois !

▸Jette-moi en taule. Y'a qu'ça à faire et tu l'sais !

Il ne s'arrêtait pas de chanter, reprenant l'air en boucle sans se lasser. Oui, le rouquin désirait plus que tout squatter l'une des cellules grand luxe de la police. Depuis combien de temps n'y avait-il pas remis les pieds ? Plusieurs mois à s'y méprendre, et même s'il préférait de loin le confort de son petit appartement en ville, il n'aspirait qu'à faire chier Hank.

▸Allez ! Sors tes boules et prouve-moi qui est l'patron !

Ils s'observaient telles deux bêtes sauvages et ivres de pouvoir. L'une d'elle pouvait se vanter d'être plus jeune et plus rapide, mais tant qu'elle restait attachée à cette table, elle n'irait guère bien loin. Le lieutenant aigri et ronchon pouvait avoir l'avantage de le tenir enchainé, Owen ne parlerait pas. Le vieux ne savait pas s'y prendre avec lui. Parce qu'il exigeait du poil de carotte des informations au lieu de lui fournir quelque chose en retour. Hankounet n'était pas un fervent défenseur des contreparties. La vérité, toute la vérité et rien que la vérité. À vos ordres chef ! Sans lui. Il n'était pas un bon petit soldat Byrd. Suivre les règles n'était pas dans ses gènes, car il préférait de loin se mettre au travers des lois de ce pays en perdition. Est-ce que son crétin de tortionnaire le comprenait bien au moins ?

Here I come dirty asshole

Il faisait son malin le jeunot, sachant pertinemment que Hank pouvait imploser d'une seconde à l'autre. Il voulait retourner en cellule, mais l'inspecteur n'allait pas lui faire ce plaisir. Pas tant qu'il parlerait, toujours la même rengaine inutile. Pourtant cette fois-ci, il n'allait pas céder aussi facilement que les autres fois. Peut-être à cause de tout ce qui se disait autour de CyberLife et des androïdes ? Il y avait une chance que ça soit ça, mais dans le doute, le rouquin allait se comporter comme d'habitude, et se la jouer dernier des crétins devant l'homme impatient.

▸C'que tu veux mon vieux !

Peu importait la prison sordide dans laquelle il allait pourrir les deux semaines à suivre ! Tant qu'il pouvait se payer la tête de l'ancêtre de la DPD en personne. Il perdait patience, de plus en plus, et son poing finit par taper contre la table d'interrogatoire. Oui encore une fois, Owen ne les comptait vraiment plus depuis le temps. Un ordre fusa de la bouche de Hank, plus violent que les autres. Qu'il dise quelque chose de productif ! Qu'il dise à son tortionnaire la vérité sur ses petites activités illicites. Mais le poil de carotte n'y entendait que dalle, même s'il marmonnait moins fort sa chanson déformée, permettant au vieil agent de police de s'installer en face de lui. Sa nouvelle question passa loin au dessus du jeune délinquant qui venait de pondre une nouvelle blague pour le rendre fou à lier.

▸Désolé, mais t'as pas dit "Jack a dit" l'ancêtre ! Et j'peux pas jouer dans ces conditions avec toi. Essaie encore !

Et paf ! Le dossier qui vole dans sa tronche sans prévenir ! Aïe ! C'est pas comme s'il l'avait cherché n'est-ce pas ?

▸Vilaine main désobéissante !

Owen saignait du nez, une vraie fontaine de jouvence. Il était peut-être même cassé aux vues de la violence employée. Mais ça le faisait sourire de plus belle. Il ne chantait plus non plus. Parce qu'il se doutait qu'il allait s'en prendre d'autres d'ici peu s'il insistait dans ses blagues encore une fois.

▸Tu peux m'taper à volonté Hankounet... J'dirai RIEN !

Le ton de sa voix venait de changer. Finis les conneries et les tours de passe-passe. Le rouquin commençait sérieusement à se faire chier dans cette salle d'interrogatoire froide. Même s'il la connaissait par cœur depuis toutes ce temps, il voulait sortir, prendre l'air devant la DPD à défaut d'être jeter en taule. Parce que Hank n'était pas d'accord pour l'enfermer. Alors ? Qui des deux aura l'avantage ?

Here I come dirty asshole

Et bam ! La tête du rouquin hyper mal poli qui s'explose contre la table d'interrogatoire. Ouch, ça fait mal au nez encore, mais il l'avait profondément cherché. Provoquer Anderson faisait partie de son top trois des trucs les plus drôles à reproduire dès que l'occasion se présentait. Il n'empêche qu'il n'allait pas changer d'avis. Il ne dirait rien sur ses activités, comme à son habitude. Et puisque l'ancêtre venait enfin de le capter, malgré sa main désobéissante et sa parade devant tous les collègues planqués derrière le miroir sans teint, il n'avait pas eu d'autre choix que de les appeler pour qu'ils viennent cueillir le sympathique Owen sur sa chaise. L'ordre ? Au trou ! Et dans la pire des cellules qui soit ! Oh Hankounet... Il souriait le sale gamin, parce qu'il savait que le lieutenant venait encore de perdre face à lui. Mais au final, qu'est-ce qui allait vraiment lui arriver de pire ? Dormir sur un sommier sans literie ? N'avoir qu'un seul repas dégueulasse par jour au lieu de deux ? Ou ne pas se faire remettre le nez en place en temps et en heure ? Il a déjà vécu pire en la présence de sa génitrice crevée. Alors c'est avec un bon gros sourire sur ses lèvres que le délinquant se prépara à être levé de son siège et détaché des menottes de la table d'interrogatoire. Et ensuite, traîné dans un couloir, il se marrait de toutes ses forces, à en faire péter les tympans des agents de police sur place avec lui. Comme convenu, il fut jeté comme un déchet toxique dans la seule prison disponible, coupée du va-et-vient de l'open-space de la brigade. Merci les mecs ! hurla t'il à plein poumon tandis qu'il dansait la macarena au milieu de sa prison miniature. Des gouttes de sang tombait à terre, il s'en foutait d'autant plus...