Hello Sister !

Dix minutes qu'il attendait comme un con devant sa porte. Dix minutes qu'il hésitait à buzzer sur cette putain de sonnette. Dix minutes à s'arracher les cheveux sur comment se présenter à elle, à celle qui se retrouvait dans cet appart en plein Monica Street. Cette femme ? Phoenicia Reid, sa demi-sœur.

Quiconque connaissait la demoiselle serait choqué par cette révélation. Parce qu'ils n'avaient rien en commun ! À part cette folie qui le ravageait lui à un niveau bien plus élevé qu'elle. Et leur père... c'était tout ! Parce qu'il savait beaucoup de choses le rouquin, sur ce qui s'était produit entre ses deux parents. Ce paternel qui aurait forcé sa mère à avoir une relation avec lui... Donnant ainsi naissance à un gamin illégitime. Inutile de dire qu'il ne la croyait pas ! Connaissant son obsession pour le sexe et la Red Ice, elle avait profité de la situation. Jusqu'à le foutre dehors en apprenant sa double vie ? Ah il restait sceptique le poil de carotte. Mais de toutes manières, il ne pouvait plus lui demander des comptes à sa mère ! Puisqu'elle s'était suicidée sous son ordre.

Mais avant de la forcer à quitter ce monde, il n'avait pas hésité à poser toutes les questions possibles. À tel point qu'il avait fini par retrouver cette autre famille. Quatre années de recherche entre de la vente de Red Ice et de multiples conneries contre la société. Et en ce dix Novembre, il attendait comme le dernier des crétins devant la porte de la seule personne qu'il espérait pouvoir rencontrer. Sa demi-sœur... Est-ce qu'elle était chez elle au moins ? Le rouquin n'allait pas tarder à le savoir. Il obligea d'abord ses voix dans sa tête à se taire, avant de taper comme un bourrin contre la porte. Pourquoi jouer la délicatesse ? Il pesta dans sa barbe et eut un léger fou-rire, et puis un bruit de pas le ramena illico à la réalité. La porte s'ouvrit alors et sa langue se délia. Phoenicia Reid ? balbutia t'il en souriant. Il n'y a pas à dire... Il ne savait pas faire Owen. Ses yeux baladeurs détaillaient cette sœur qu'il n'aurait jamais espéré. Elle était canon dis donc !

Hello Sister !

Et voilà qu'ils se détaillaient en silence tous les deux, sans la moindre animosité dans le regard. Cette Phoenicia avait une assurance démesurée comparé à Owen qui ne pouvait compter que sur son sarcasme et ses petites voix qu'il avait dans la tête. Néanmoins, c'était bien sa sœur. Et lorsqu'elle demanda s'ils se connaissaient, c'est avec un léger oui de la tête que le rouquin répondit, ne cessant de sourire face à elle. On n'allait pas dire qu'il se réjouissait fortement de la rencontrer ! Mais il espérait qu'elle ne soit pas aussi tarée que lui. Il ne l'avouerait jamais, mais il ne le souhaitait à personne. Un léger silence s'installa avant que la brune daigne lui demander ce qu'il lui voulait. Il n'avait pas le droit à l'erreur...

▸J'te dirai bien de m'laisser entrer... Mais j'vais éviter.

Notre petit Byrd ne savait pas comment se comporter face à elle. C'était tout nouveau pour lui, de se la jouer aimable sans arrières pensées dans le crâne. Forcément ! Owen ne côtoyait que des camés à la Red Ice, les flics de temps à autre et les emmerdes à longueur de journée... L'amour ? Il n'y connaissait rien et n'était pas fait pour ça. L'amitié ? Un concept d'autant plus étranger qui lui collait une chienne de tous les diables. Asocial sur tous les fronts donc, et ça lui convenait très bien. Sauf que cette fois, il allait devoir faire entrer quelqu'un dans sa vie. Sa vision du truc ? Ça allait très mal se passer.

▸Okay ! Tu vas trouver ça carrément dingue mais...

Il avança d'un petit pas vers Phoenicia, tâchant de garder une distance raisonnable entre elle et lui. Une sécurité soudaine, car d'habitude ça ne le dérangeait pas de se coller au premier inconnu qu'il côtoyait pour lui mettre la pression. Cette fois, les rôles étaient inversés. C'est lui qui l'avait putain ! Mais il ne se démonta pas et lui avoua la chose, sentant un poids se défaire de sa conscience torturée. J'suis ton frangin. Simple à dire, plus dur à encaisser. Même s'il avait eu cent fois le temps de se faire à l'idée, son orgueil lui ne s'en remettait toujours pas...

Hello Sister !

Sa réaction ? Laisser entrer Owen chez elle... Il eut un sursaut, comme s'il avait mal compris ce qu'elle venait de lui proposer. Il inspira profondément avant de franchir le seuil de son appart. Il la suivait c'est tout, sans prendre la peine de regarder ce qu'il y avait autour de lui. La déco... il s'en foutait royalement. Il avait mis les pieds dans un tout autre monde que le sien, et ça ne le rassurait pas. Ses voix avaient fini par se taire... Une première depuis des années. Livré à lui-même face à cette femme qu'il savait être de son sang ? Il y avait de quoi avoir la chienne ! Mais il devait faire comme d'habitude. Se planquer derrière son sourire faux et ses sarcasmes. Est-ce qu'il y parviendrait ? Rien n'était joué d'avance, d'autant que la brune venait de mettre le doigt sur un détail de sa vie qui, pour ne rien empirer du tout, fit réaliser au rouquin que sa présence sur Terre avait foutu un bordel bien plus grand qu'il ne le pensait au départ.

▸Si tu l'dis... J'connais pas notre père.

Il pourrait éclater de rire face à elle. C'était même trop tentant à vrai dire. De se foutre de la gueule de cet homme qui, en plus d'avoir mis enceinte une autre femme que la sienne, s'était vu retirer la garde de ce fils qu'il ne connaîtrait jamais et d'essuyer le divorce de celle qu'il n'aurait jamais dû tromper pour la Red Ice d'une autre... Ça ferait un chouette roman dis donc ! Il avait ouï dire qu'il pouvait être un tantinet violent avec sa défunte mère lorsqu'il en avait un coup dans le nez aussi... Alors rien ne le choquait, si ce n'est qu'elle devait l'avoir mauvaise. Même si sa première question fut de lui demander son nom. Owen... répondit-il en regardant ses pieds. Il se sentait un poil mal dans sa peau le poil de carotte, et il y avait de quoi. Pourtant, il se comportait un peu comme un robot, préférant dire ce qu'elle voulait entendre plutôt que de lui rentrer dedans et lui faire ses charades habituelles.

▸Et pour rien t'cacher, je l'sais depuis longtemps. Il m'a juste fallu un max de temps pour t'mettre la main dessus. T'es pas l'genre de nana à vouloir s'montrer, si tu vois c'que j'veux dire...

Du temps oui, et pas mal d'argent qu'il tenait de sa ventre de drogue dans les rues de la ville. Payer pour connaître sa famille avait un coût assez élevé, mais dans le fond est-ce que ça en avait vraiment valu la peine ? Est-ce qu'il n'avait pas fait la plus grosse erreur de sa vie en la retrouvant, alors que la menace androïde planait au dessus de leurs têtes à tous ?

Hello Sister !

Le jeunot ne comprenait vraiment pas où il avait mis les pieds. D'habitude, il avait le contrôle sur la situation. Ici, c'était elle qui menait le jeu, et il ignorait tout de ses règles. La bienséance ? Rien à cirer, il se foutait des codes et de l'attitude à adopter en société depuis tout jeune. Alors, aller rejoindre sa sœur assise sur le canapé ? Même pas une option. Il préférait rester debout dans son coin. Il préférait même la fermer au final, lorsque la brune avoua être contente de le connaitre. Owen avait du mal à lui sourire, parce que ça ne cachait aucun sarcasme comme à son habitude. Et parce qu'elle avait un drôle d'attitude qu'il ne comprenait pas. Si elle se sentait bien de ne pas être facile à trouver ? Ça semblait... Mais pour ce qui était de ladite somme d'argent, il ne dirait rien, se contentant d'hausser les épaules, et de faire semblant à sa dernière affirmation.

▸Pas moi en tout cas !

Une part importante de lui ne voulait pas venir ici, comme elle ne désirait pas retrouver cette sœur dont il ne savait rien. Mais allez savoir pourquoi il avait choisi son peu de curiosité envers l'inconnu. Oh il le regrettait déjà ! Il n'allait pas lui avouer, parce qu'il se trouvait bien con de ne pas être en mesure de lui dire quelques mots sans penser bafouiller ou à mal.

▸Nope... Écoute Phoenicia, j'ai vraiment pas l'habitude qu'on soit gentil avec moi. Te donne pas la peine de l'être s'te plaît.

Un peu direct dans sa façon de lui parler, mais il ne l'engueulait pas. Bien au contraire, il la mettait en garde, de ne pas jouer les protectrices envers lui parce qu'il était son petit frère. De ne pas faire semblant de l'apprécier alors qu'elle l'avait toujours mauvaise envers leur propre père. Non, le poil de carotte n'était pas responsable du bordel familial que tout ça avait engendré, il n'était que le simple fruit d'une erreur de jugement, et d'une partie de jambe en l'air de trop... Il baissait la tête, sentant le rouge lui monter au visage. Est-ce qu'il allait pouvoir tenir ?

Hello Sister !

Sa grande sœur avait compris le message apparemment, mais elle ne pouvait pas s'empêcher d'argumenter sur sa drôle de façon d'être. Que la brune voulait apprendre à le connaître lui, Owen Byrd, jeune dealer sociopathe et fourbe qui risquait de lui causer des emmerdes dans un futur si proche... Comment une personne sensée pouvait se conforter dans une idée à la noix ? À moins d'avoir un trouble psychologique à la hauteur du poil de carotte, elle ne tournait pas rond cette gonzesse. Mais il ne pouvait plus se fier aux voix dans sa tête, qui continuaient de la fermer pour une raison qui lui était totalement inconnue. Il ne pouvait pas faire autrement que de se débrouiller alors, lorsque Phoenicia parla de ce besoin de lui laisser de l'espace comme il semblait en avoir cruellement besoin, il y eut une réaction un peu trop spontanée à son goût.

▸Okay je... J'veux bien faire l'effort... Pour toi...

Sa part d'ombre désespérait de laisser Owen se faire mener le bout du nez par une simple nana. Pire encore s'il s'agissait de son propre sang ! Qu'importe, car il souhaitait des réponses sur son paternel le rouquin. Et finalement, il se résigna à avancer vers le canapé de la brunette et à y asseoir son boule coincé, attendant patiemment qu'elle le rejoingne, tout simplement. Il y avait de la distance entre eux, ce n'était pas plus mal pour lui.

▸Notre père, il était comment ? J'veux dire, est-c'qu'il était bien l'sale nase qu'ma mère pensait d'lui ?

Aussi débile que ça pouvait paraître il y a quelques années de cela, Mylène sa défunte mère, le tuait encore et encore de ses mots acerbes et profondément ignobles. Qu'il s'était joué d'elle, qui l'avait séduite et mise enceinte alors qu'elle n'en voulait pas de ce bébé, qu'il aurait dû crever de ses mains... Une sacrée flopée de qualificatifs qui menaient inéluctablement à la même conclusion : tout était de sa faute.

Hello Sister !

Il laissait Phoenicia donner sa vision de ce père qu'ils avaient en commun. Ce mec ? Un chic type gentil au début ? Il arquait un sourcil fort songeur. C'était difficile de se faire à cette idée, parce que sa mère n'en disait que du mal à longueur de temps. Pas une fois elle n'avait prononcé un qualificatif sympathique à son égard dans ses monologues sans queue ni tête.

▸Maniaque du contrôle... On dirait la mienne !

Il n'allait pas essayer de l'interrompre, ni de donner son avis sur le sujet. Parce qu'il ne le connaissait pas du tout, et que ça ne l'intéressait pas de faire cet effort supplémentaire. Owen avait une grande sœur à supporter ! C'était déjà de trop. Et ses voix qui continuaient de faire comme si elle n'avaient pas existé là... Pourquoi lui causaient-elles un tel silence tout à coup ? C'est à se demander s'il n'avait pas, depuis le début, le pouvoir de les contrôler finalement, même inconsciemment. De leur dire de la fermer quand il en avait ardemment besoin. Se retrouver seul dans son crâne lui faisait mal en fait, parce qu'il a toujours eu l'habitude de les avoir, même sous forme de chuchotements et que là ? Plus rien du tout. Le silence absolu, comme s'il pouvait s'entendre réfléchir et ça lui déplaisait un max. Son état mental l'obnubilait tellement qu'il en oubliait les propos de la brunette, qui s'excusait de ne pas pouvoir être plus cool dans ses propos concernant leur père.

▸C'est bon t'excuse pas sœurette ! J'savais qu'c'était pas l'mec idéal qu'toutes les nanas s'arrachent alors...

Il se grattait violemment la tête le poil de carotte, parce qu'il n'avait rien à dire de plus. Alors il préférait lui sourire sans trop la regarder. C'est fou ce que cette fille pouvait l'impressionner ! Peut-être parce qu'elle était plus vieille que lui ?

▸J'suis, hum... Content de n'plus être tout seul. Ouais...

Tenir une conversation normale n'a jamais été son point fort au rouquin. Non, là où il excellait, c'était dans la perfidie avec ses victimes droguées jusqu'à la moelle. Là ! Il pouvait leur raconter les vertus de ses cristaux de Red Ice pendant des heures, sans sourciller, sans un accroc dans la voix et avec la quasi certitude de les voir revenir vers lui, encore et encore, pour lui réclamer cette saloperie qui faisait fureur dans les rues de Détroit. Tout comme il savait se foutre de la gueule de Hankounet lorsqu'il se faisait pincer les poches vides. User de son sarcasme était sa seconde nature chez lui, mais dès qu'il fallait faire montre de sympathie pure, qu'on se le dise... Il en était incapable.

Hello Sister !

Plaisir partagé d'un frère et d'une sœur méconnus jusqu'alors... Il se mit à rougir de toutes ses forces, faisant ainsi ressortir les tâches de rousseur qu'il avait sur son visage de flambeur. Une plaie ces saloperies ! Au moindre coup de froid ou changement d'humeur elles venaient comme par magie ! Mais Phœnicia ne s'en préoccupait pas et se leva du canapé pour aller se servir un verre d'alcool. C'est en proposant au rouquin de partager ce moment qu'il fit non de la tête.

▸J'bois pas sœurette...

Ni tabac, ni alcool, ni drogue. Owen avait suffisamment de mal à composer avec toutes les voix qu'il avait dans le crâne, alors il n'allait pas s'ajouter une addiction en surplus ! Non, il préférait rester sobre en tout temps, et jouer de sarcasme sur tout ce qui bougeait pour son plus grand plaisir. Néanmoins, il lui souriait à sa sœur, même quand elle lui demanda gentiment des détails sur lui. Mon dieu ! Si seulement elle savait...

▸J'ai bien peur d'avoir qu'des trucs nuls sous l'coude.

Il enchaîna pourtant sans sourciller...

▸J'suis orphelin depuis huit ans, et tout l'monde s'en fout. J'me débrouille comme j'peux mais c'est pas simple... Et j'parle pas d'mes passages répétés en prison donc...

Et sans réfléchir non plus. Et si la brune faisait respecter l'ordre dans Détroit sans qu'il ne le sache ? Non, elle avait déjà assez à faire avec Eagle et la Coalition sans tout ce bordel dans la ville... Et même si le poil de carotte l'ignorait tout bonnement, il allait vite comprendre son erreur. Car le but d'une conversation Owen, c'est de pouvoir répondre à ce que dit l'autre, et dans le cas présent Phœnicia allait forcément vouloir comprendre le peu de mots qu'il avait claqué sans se méfier.

Hello Sister !

C'est bon, il avait compris le message. Phœnicia serait la sœur rêvée de n'importe quel petit garçon en manque d'affection. On ne peut pas dire que ça l'indifférait vraiment, dans le sens où il n'a jamais connu le concept unique de fratrie dans sa propre famille monoparentale. Mais à force d'entendre qu'il n'était plus seul, ça lui donnait vraiment l'envie de se pisser dessus de rire. Qu'allait-elle faire de plus pour lui ? Si ce n'est prendre de ses nouvelles ou l'inviter chez elle de temps à autre ? Parce qu'il ne se sentait pas prêt à ce qu'elle mette un seul orteil dans son appartement. Non pas qu'il était en bazar ambiant, puisqu'il y avait l'option robot-ménager tout en un là-bas, mais c'était une question de principe. Qu'à force de vivre loin des autres, reclus volontairement de peur de s'en prendre encore plein la gueule, il était difficile pour Owen d'accepter une personne dans sa vie. Qui plus est une femme ! Alors il souriait le rouquin, répondant aux questions de la sœurette par des oui ou non de la tête, tout simplement. Mais alors qu'il était sur le point de la remercier ou quelque chose d'approchant, Owen se figea dans le canapé. Ses voix... Les salopes venaient de reprendre leur cacophonie habituelle, signe irréfutable que le temps imparti était écoulé, et qu'il devait se tirer de là tout de suite. Voyant qu'elle l'avait vu, il fit mine de regarder son cellulaire et improvisa une drôle d'expression faussement désolée. Pardon, mais j'dois y aller ! Il ne lui laissa même pas le temps de lui dire au revoir, parce qu'il sentait qu'il allait lui dire ou faire du mal dans les prochaines minutes. Alors le poil de carotte dégagea sans demander son reste et claqua la porte au passage, avant de courir comme un fou dans la rue, histoire de ne pas être suivi. Pfiou ! Il n'y a pas à dire, les femmes... C'est vraiment le bordel !